Que deux monnaies soient à parité – qu’elles valent une unité de l’autre, et réciproquement – est un phénomène relativement courant sur les marchés des changes. Que trois monnaies le fassent simultanément est déjà nettement plus rare. Surtout quand les trois monnaies en question sont farouchement indépendantes les unes des autres et représentent, à elles trois, 43% du PIB mondial.

Depuis vendredi soir, le billet vert est passé juste en dessus de la barre du franc (aux alentours de 1,004 franc) alors qu’il ne valait que 91 centimes en début d’année encore. Simultanément, l’euro évolue aux alentours de 1,04 après avoir frôlé la parité absolue au début du mois de mars. Logiquement, le taux de change entre la monnaie unique européenne et le greenback s’inscrit presque à un pour un, 1,04 dollar pour un euro.

Le fait que la Fed ait remonté ses taux avant les autres n’est pas la seule raison expliquant la remontée du dollar.

Samy Chaar, stratège chez Lombard Odier à Genève

Ce phénomène, bien pratique au moment de calculer les budgets des vacances, résulte de la renaissance d’un phénomène un peu oublié ces dernières années de convergences de politiques monétaires et d’absence d’inflation: le retour des grosses variations de change. «La remontée des taux d’intérêt ravive des vieux réflexes, qui consistent à placer son argent dans la devise offrant les meilleurs taux d’intérêt», comme le résume Jean-Paul Jeckelmann, stratège à la banque Bonhôte à Neuchâtel.

Le roi dollar

Or, la Réserve fédérale américaine (Fed) s’est mise à remonter ses taux avec vigueur ce printemps pour tenter de maîtriser l’inflation aux Etats-Unis. La Banque centrale européenne (BCE) n’a pas encore bougé les siens, un mouvement qu’elle ne devrait entamer qu’en juillet. La Banque nationale suisse (BNS) devrait attendre la fin de l’année pour leur emboîter le pas.

«Le fait que la Fed ait remonté ses taux avant les autres n’est pas la seule raison expliquant la remontée du dollar», nuance Samy Chaar, stratège chez Lombard Odier à Genève. «L’équilibre de la balance des paiements et celle de la croissance économique potentielle sont aussi des facteurs justifiant des variations de taux de change», poursuit-il.

Or, si les économies américaine et européenne ont connu de forts taux de croissance ces derniers mois, leurs perspectives sont assombries par la forte inflation aux Etats-Unis, par les retombées de la guerre en Ukraine en Europe, et par les effets des confinements chinois sur les chaînes d’approvisionnement, pour tout le monde. Or, les phases d’inquiétude des marchés des changes profitent généralement au dollar, vu comme la monnaie refuge par excellence, alors que l’euro paraît plombé par les perspectives de ralentissement économique dû à la guerre.

La BNS achète, achète

Reste, néanmoins, une variable typiquement suisse: les interventions de la BNS sur les marchés des changes. Depuis le début de l’année, ses achats de devises (euros, surtout) pour contrer une trop forte hausse du franc, ont atteint 30 milliards de francs, contre 19 milliards l’an dernier, et 120 milliards en 2020, première année de pandémie. Ces interventions évitent une trop forte hausse du franc face à la monnaie unique.

Or, poursuit Samy Chaar, la plus faible inflation en Suisse par rapport à la zone euro et, surtout, aux Etats-Unis, renforce le franc de «deux à trois pour cent par an». De plus, la balance des paiements systématiquement bénéficiaire de la Suisse renforce encore la monnaie indigène. Si bien qu’il situe le cours d’équilibre du franc face à la monnaie unique aux alentours de 1,02 franc pour un euro. Jean-Paul Jeckelmann le situe plutôt, lui, entre 1,05 et 1,10 franc pour un euro.

Un roi peut-être détrôné

Les stratèges doutent cependant que cette situation d’équilibre persiste. Ils anticipent un dollar encore fort tant que la guerre et les confinements chinois entretiennent les incertitudes dans le monde, et tout particulièrement en Europe.

Depuis dix à quinze jours, beaucoup de clients vendent leurs dollars plutôt que d’en acheter.

David Pereira, responsable de la salle des marchés de b-Sharpe

Néanmoins, David Pereira, responsable de la salle des marchés de b-Sharpe, une plate-forme de changes à Genève, note que «depuis dix à quinze jours, beaucoup de clients vendent leurs dollars plutôt que d’en acheter». Signe que ces intervenants ne croient plus à une poursuite de la hausse du billet vert mais plutôt à une reprise de l’euro, et surtout du franc. Le phénomène inverse avait été observé lorsque l’euro avait atteint la parité avec le franc en mars dernier: «De nombreux clients avaient alors vendu leurs francs pour acheter des euros», poursuit le trader sur devises. Manifestement, les taux de change à parité ne sont pas faits pour durer.

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