La ville ukrainienne de Bakhmout, transformée en champ de ruines après dix mois de combats décrits comme les plus âpres et les plus meurtriers depuis le début de la guerre, serait désormais sous le contrôle total des forces russes.

Evgueni Prigojine, le chef de la société militaire privée Wagner, a publié samedi une vidéo sur laquelle il brandit le drapeau de son pays et proclame: «Le 20 mai 2023 à midi, la ville a été complètement libérée.»

Selon ses déclarations, les dernières forces ukrainiennes ont été chassées de ce champ de ruines jadis peuplé de 70 000 habitants.

Capture démentie

En déplacement au Japon pour le sommet du G7 dimanche, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a quant à lui affirmé que les troupes russes se trouvaient bien dans Bakhmout mais que la ville n’était «pas occupée».

La vice-ministre ukrainienne de la Défense, Ganna Maliar, a par ailleurs assuré que les troupes de Kiev contrôlaient encore «certaines installations industrielles et infrastructures» dans la ville et avaient «encerclé partiellement» Bakhmout grâce à une récente percée sur les flancs au nord et au sud.

Image extraite de la vidéo revendiquant la prise de la ville de Bakhmout par le groupe Wagner. Photo: KEYSTONE

Le Kremlin, à la recherche d’un succès après les revers subis au printemps dans le nord de Kiev, puis à l’automne dans les régions de Kharkiv et de Kherson, ne manquera pas de célébrer la prise de Bakhmout comme une étape décisive.

Les autorités ukrainiennes estiment pour leur part que l’évènement sera sans conséquence sur la dynamique des opérations dans le Donbass.

20 000 soldats russes auraient été tués

Ces derniers jours, de furieux combats faisaient toujours rage pour les dernières rues, les derniers pâtés de maisons. «À Bakhmout, c’est la folie», racontait jeudi Oleksander Yabchanka, membre de la compagnie Gonor, qui venait de quitter la ville deux jours plus tôt.

Au moment de sa sortie, les forces ukrainiennes ne contrôlaient plus qu’une vingtaine d’immeubles. «Les Russes savent qu’on est dans ces bâtiments, ils nous pilonnent sans arrêt mais ça ne nous empêche pas d’en liquider un maximum», raconte le soldat.

Cette partie du front est la plus sanglante, la plus cruelle et la plus brutale depuis le début de l’offensive russe.

Un porte-parole de l'armée ukrainienne

Acculés, ses camarades ne pouvaient entrer et sortir qu’à la faveur de la nuit, à bord de véhicules blindés, et devaient ensuite marcher plusieurs centaines de mètres pour rejoindre leurs positions. «La chute de Bakhmout ne changera pas grand-chose», observe Oleksander, convaincu que sa défense a permis de fixer l’ennemi tout en entamant sérieusement ses effectifs.

De part et d’autre, l’ampleur des pertes est un secret bien gardé. Selon les services de renseignements américains, plus de 20 000 soldats russes ont été tués dans la ville depuis décembre.

«Nous avons épuisé l’adversaire»

L’armée ukrainienne, qui semblait condamnée à l’encerclement il y a deux mois, a conduit ce que l’Institute for the Study of War appelait alors «un retrait contrôlé en situation de combat». Des troupes d’élite ont été envoyées à Bakhmout pour empêcher la milice Wagner de refermer sa pince sur la ville.

Depuis dix jours, les forces ukrainiennes ont même repris quelques kilomètres carrés sur les flancs nord et sud de la ville, profitant d’un possible affaiblissement du dispositif russe et laissant espérer l’amorce d’un encerclement futur.

Les Russes ont eu faim, froid et ont perdu énormément d’hommes. La situation est mûre pour que nous commencions à regagner du terrain avec l’idée de couper leurs lignes logistiques.

Sergent «Barny», de la 10ème brigade d’infanterie ukrainienne

«Nous avons épuisé l’adversaire tout au long de l’hiver, se félicite le Sergent «Barny», de la 10ème brigade d’infanterie, qui défend depuis plusieurs mois une ligne de tranchées située au nord-ouest de la ville. Ils ont eu faim, ils ont eu froid et ils ont perdu énormément d’hommes. La situation est mûre pour que nous commencions à regagner du terrain avec l’idée de couper leurs lignes logistiques.»

Le général Oleksander Syrsky, commandant des forces terrestres ukrainiennes, estime pour sa part que «les hommes de Wagner sont entrés dans Bakhmout comme des rats dans un piège à souris.»

«Hachoir à viande»

La bataille de Bakhmout, qui s’est intensifiée en novembre dernier, est comparée aux affrontements de la Première Guerre mondiale.

Un porte-parole de l’armée ukrainienne décrit cette partie du front comme «la plus sanglante, la plus cruelle et la plus brutale» depuis le début de l’offensive russe. On parle, au plus fort des combats, de centaines de morts et de blessés par jour. Bakhmout se transforme en «hachoir à viande».

Malgré le déluge constant de l’artillerie et l’appel répété des autorités à évacuer la ville, quelques milliers de civils demeuraient encore dana la ville à fin janvier. L’essentiel de leur vie se déroulait alors entre des abris souterrains privés d’eau, d’électricité, de chauffage, et les quelques «points d’invincibilité» où des ONG mettaient à leur disposition des boissons chaudes et de la nourriture.

Les partenaires occidentaux de l’Ukraine s’inquiètent parfois de voir son armée jeter toutes ses forces dans la défense d’une ville en grande partie détruite. «Mais si on ne se bat pas à Bakhmout, plaide Aleksander, un ancien de la Légion étrangère française déployé depuis décembre au cœur de la ville, il faudra bien se battre ailleurs…»

Cyrille Louis, envoyé spécial à Kostiantynivka (Ukraine)

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