Près d’un million de francs. C’est le pactole empoché par Andreas Schönenberger, CEO de Sanitas, l’année dernière.

Dans la galaxie des dirigeants de caisses-maladie en Suisse, l’ancien patron de Salt est celui qui a, et de loin, le mieux négocié sa paie.

En 2022, les rémunérations des dirigeants des neuf autres plus grandes caisses suisses, toutes activités confondues, oscillaient entre 780 000 et 470 000 francs (contributions de l’employeur à la caisse de pension comprises).

Salaire en fonction des primes

Ces dirigeants sont-ils trop bien payés? Vaste débat. Sous la Coupole, la gauche s’est déjà attaquée plusieurs fois aux salaires à six chiffres des dirigeants de caisses-maladie. Sans succès jusqu’à présent.

Mais le vent semble tourner. Le mécontentement populaire grandissant face à des primes maladie toujours plus chères et un pouvoir d’achat qui s’érode y sont pour quelque chose. Sans parler des élections fédérales cet automne…

Quand on voit que chaque patron de caisse est mieux payé qu’un conseiller fédéral, on se dit que le système a perdu un certain bon sens.

Baptiste Hurni, conseiller national (PS/NE)

Au point où, pour la première fois, une initiative parlementaire allant dans ce sens a été approuvée par les deux commissions compétentes à la fin du mois de mai.

Déposée par le conseiller national Baptiste Hurni (PS/NE), elle demande que les rémunérations des membres des directions et du conseil d’administration des assurances-maladie offrant des prestations de base soient soumises à un montant maximal fixé par le Conseil fédéral.

Ce montant ne pourrait alors «être augmenté ou diminué qu’en fonction du niveau des primes de la caisse concernée.»

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«Un certain bon sens perdu»

«Nous n’appelons pas à ce que les dirigeants soient payés au salaire minimum, mais à bien plus de mesure dans le système. Quand on voit que chaque patron de caisse est mieux payé qu’un conseiller fédéral (réd: environ 500 000 par année, sans compter la rente à vie), on se dit que le système a perdu un certain bon sens», estime-t-il.

«Tout le monde doit tirer à la même corde. Et pas que les patrons: d’autres acteurs de la santé gagnent énormément d’argent, comme certains médecins spécialistes, et devraient aussi faire des efforts», poursuit celui qui préside la section romande de la Fédération suisse des patients.

La limitation des rémunérations est une mesure qui concerne un petit nombre de personnes et dont l’impact sur la maîtrise des coûts est limité, mais les symboles comptent en politique.

Gerhard Pfister, président du Centre et conseiller national zougois

N’est-ce pas là une mesure populiste qui n’aura que peu d’effet? «Lorsque l’on totalise les rémunérations de l’ensemble des directions et des conseils d’administration des caisses-maladie, les montants sont importants. Mais je suis bien conscient qu’ils ne sont pas significatifs par rapport à l’ensemble des coûts de la santé. C’est toutefois en additionnant ce genre de montants que l’on parviendra à maîtriser le système», défend le Neuchâtelois.

250 000 francs maximum

Une autre proposition similaire, déjà acceptée par le National, sera aussi débattue ce mardi aux Etats.

Déposée par la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du National, elle fixe, elle, des montants précis. Le salaire du CEO ne devrait ainsi pas excéder 250 000 francs par an, tandis qu’un membre d’un conseil d’administration ne devrait pas être payé plus de 50 000 francs par année.

«Les symboles comptent»

Une alliance contre-nature se formera sans aucun doute à nouveau pour le second vote: l’UDC et la gauche devraient encore voter majoritairement pour, à l’inverse de ce que préconise le Conseil fédéral, qui estime notamment que de telles limites contreviendraient à la liberté entrepreneuriale.

Je suis favorable à ce que tous les acteurs prennent leur responsabilité et participent aux efforts tant que l’on ne touche pas à la qualité des soins et à l’innovation médicale.

Johanna Gapany, conseillère aux Etats (PLR/FR)

C’est du côté du Centre que la bascule pourrait s’opérer dans la chambre haute. Une certaine division se fait jour au sein du parti. Le président Gerhard Pfister s’est notamment positionné en faveur du texte au National, contre la majorité de son groupe. Selon le Zougois, les élus de sa formation rejetteront cependant pour la plupart ce texte aux Etats.

«La limitation des rémunérations est une mesure qui concerne un petit nombre de personnes et dont l’impact sur la maîtrise des coûts est limité, mais les symboles comptent en politique», estime-t-il, en rappelant que les facteurs de coûts dans le secteur de la santé se situent ailleurs.

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Marché déjà très réglementé

Le PLR devrait aussi voter très majoritairement contre, mais certains élus de cette formation ne sont plus complètement fermés à de telles propositions.

A l’image de la conseillère aux Etats Johanna Gapany, qui se dit «favorable à ce que tous les acteurs prennent leur responsabilité et participent aux efforts tant que l’on ne touche pas à la qualité des soins et à l’innovation médicale. Ceci dit, je ne pense pas que de telles propositions permettront de réduire les primes, il faut être honnête», nuance la Fribourgeoise.

Pour la politicienne, ce plafonnement peut se justifier, car il s’agit d’un marché déjà très réglementé, et que l’argent public est de plus en plus présent dans les entrées financières des caisses, notamment en raison de subsides toujours plus nombreux.

Pour elle, ces propositions posent par ailleurs la question de plafonds pour d’autres organismes subventionnés par l’Etat.

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Législation limitée

Même si ces interventions devaient finalement aboutir à une nouvelle réglementation, elles n’affecteraient en réalité pas l’entier des rémunérations des dirigeants.

Comme le rappelle le Conseil fédéral, une telle législation ne permettrait pas de limiter la rémunération totale, mais seulement celle qui relève de l’assurance de base (AOS). Les salaires liés à l’assurance complémentaire, ou à d’autres prestations, seraient ainsi exclus.

Et cela fait une différence de taille: dans plusieurs sociétés, l’assurance obligatoire des soins représente entre 40% et 60% du salaire des cadres. Chez Sanitas par exemple, un peu plus de la moitié du salaire du patron est liée à l’assurance de base, soit 500 000 francs, sur les 956 486 francs de sa rémunération annuelle en 2022.

C’est encore plus frappant chez Concordia: la part de rémunération du CEO qui se rapporte à l’AOS s’élevait à 251 000 francs en 2022 (sur un total de 531 375 francs). Soit à peine 1000 francs de plus que le plafond envisagé.

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Selon Comparis, les primes de base devraient bondir de 6% en moyenne, et jusqu’à plus de 10% pour de nombreux assurés.