Elle, la jeune sénatrice de droite, soutient le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. Lui, le vieux briscard de gauche, le combat. Duel de genre et de génération autour d’un enjeu central: l’avenir de la plus populaire de nos assurances sociales. Nous avons réuni la libérale-radicale fribourgeoise Johanna Gapany et le socialiste vaudois Pierre-Yves Maillard à Berne pour qu’ils croisent le fer sur la réforme de l’AVS, soumise au peuple le 25 septembre.

Johanna Gapany, ne trahissez-vous pas la cause des femmes en soutenant le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans?

Non, on parle de consolider l’AVS et l’âge de la retraite est une partie de la réforme. Pour les femmes qui arrivent à la retraite maintenant, c’est un changement important, c’est clair. Et c’est la raison pour laquelle des compensations sont prévues.

Johanna Gapany le 7 septembre à Berne. Photo: Charly Rappo/La Liberté

Si on veut avancer sur le terrain de l’égalité, on doit réaliser cette réforme qui permet de garantir le niveau des rentes pour toutes et tous et en même temps travailler sur la réforme du 2e pilier pour mieux intégrer les femmes et améliorer réellement leur rente.

Pierre-Yves Maillard: Dans les faits, l’égalité est encore loin d’être réalisée. Les femmes gagnent à peu près un tiers de salaire en moins, dont 10% sont liés uniquement au fait qu’elles sont des femmes. Les bases légales pour corriger cela sont très faibles, car le camp bourgeois ne veut pas de mesures de sanctions.

Au nom de l’égalité, on veut enlever aux femmes et aux couples mariés cette année de rente qui corrige insuffisamment des inégalités persistantes. C’est un recul.

Que répondez-vous à cet argument d’un recul pour l’égalité?

JG: Effectivement, il y a des différences salariales qui sont inexcusables et indéfendables. Ces inégalités seront corrigées dans notre génération. J’en suis convaincue. Maintenir une inégalité sur l’âge de la retraite, cela ne nous fait pas avancer sur le champ de l’égalité. Cela nous maintient dans un discours qui fait de la femme le sexe faible, qui doit partir à la retraite en même temps que son mari, car souvent elle est un peu plus jeune.

C’est un discours qui appartient à une société patriarcale. Je les entends ces discours: «Vous partez à la retraite avant, vous n’avez pas l’obligation de servir, vous avez un congé maternité.» Nous avons la responsabilité de dessiner un avenir politique qui soit le même pour les hommes et pour les femmes.

«Les femmes qu’on est tous allés applaudir au balcon sont révoltées par cette réforme»

Pierre-Yves Maillard, conseiller national (PS/VD) et président de l’Union syndicale suisse

Pierre-Yves Maillard le 7 septembre à Berne. Photo Charly Rappo/La Liberté

PYM: Ce discours-là, c’est celui des femmes qui ont la chance d’avoir pu étudier longtemps et qui gagnent beaucoup d’argent. Mais celles qui travaillent dans des métiers difficiles, dans la santé ou la vente de détail par exemple, celles qu’on est tous allé applaudir au balcon pendant la pandémie, elles sont révoltées par cette réforme, qui fait 800 millions de francs d’économies en moyenne ces dix prochaines années sur le dos des femmes.

JG: Vous venez nous dire qu’on est la jeunesse dorée. Mais c’est tout le contraire en réalité, car on se rend bien compte que ça va être de moins en moins simple de maintenir le niveau des rentes à la retraite. Tout n’est pas idéal dans cette réforme. C’est le propre d’un compromis.

Mais elle va nous permettre de garantir le niveau des rentes ces dix prochaines années et de rassurer les générations futures sur la solidité du système.

Les sondages montrent que les femmes sont fortement opposées à cette réforme. Cela doit vous interpeller…

JG: Non, ce qui m’interpelle, c’est la campagne qui est menée là autour. Tous les arguments des opposants sont clairement destinés à convaincre les femmes. Le résultat, c’est un fort clivage hommes femmes, alors que nous sommes toutes et tous concernés. Exploiter les inégalités qui pénalisent les femmes ne nous fera pas avancer.

PYM: Les inégalités dans les salaires ont pour corrélat des inégalités dans les rentes. Et c’est pourquoi il est légitime de dire que tant que l’inégalité salariale n’est pas corrigée, on ne peut pas commencer à bidouiller les prestations de l’AVS.

JG: Au niveau de l’AVS, l’inégalité n’est pas en défaveur des femmes. C’est dans le deuxième pilier qu’il y a une nécessité de mieux intégrer les revenus des femmes et on s’y attelle.

La campagne des opposants dresse l’épouvantail de la retraite à 67 ans. Ne jouez-vous pas sur la peur des gens?

PYM: Quand on est face à des gens qui découpent un salami, tout en annonçant clairement la couleur, on est bien obligé de décrire la longueur du salami. L’initiative des jeunes PLR est sur la table du parlement. Elle demande la retraite à 66 ans pour tous et ensuite une augmentation régulière en fonction de l’espérance de vie.

Mais si la droite ne gagne pas le 25 septembre, elle peut ranger ses projets dans les tiroirs.

JG: Si le oui l’emporte, ce ne sera pas le succès de la droite mais celui de la société dans son ensemble. Et effectivement, l’âge de la retraite, c’est une question qui se pose avec l’évolution de l’espérance de vie. L’initiative des jeunes PLR la remet sur la table.

Mais le débat va sans doute davantage se diriger vers une flexibilisation que vers une augmentation fixe de l’âge de la retraite.

«Défendre une inégalité sur l’âge de la retraite, c’est un discours qui appartient à une société patriarcale»

Johanna Gapany, conseillère aux Etats (PLR/FR)

PYM: Je n’ai pas bien compris: vous êtes pour ou contre cette initiative des jeunes PLR?

JG: Vous avez très bien compris. Ce à quoi je suis favorable, c’est à une flexibilisation de l’âge de la retraite.

PYM: Mais avec un âge de référence à la hausse, car partir à la retraite avant ou après, c’est déjà possible aujourd’hui.

JG: Aujourd’hui, les pénalités sont relativement importantes. La réforme AVS21 permet justement de corriger cela et de partir à la retraite de manière progressive.

Les partisans du oui promettent des améliorations pour les femmes dans le deuxième pilier. Mais cette réforme est mal emmanchée, non?

JG: C’est une réforme complexe, en particulier en raison de l’absence de réforme qui aurait dû permettre d’adapter le système aux réalités. Mais on a déjà avancé sur la partie du projet qui vise à mieux intégrer les personnes à temps partiel, ainsi que celles qui ont des revenus modestes.

Nous avons des gens qui ont travaillé toute leur vie, mais à temps partiel, et qui arrivent à la retraite avec pour seule rente l’AVS. Ça ne suffit pas.

PYM: Après l’échec de la précédente réforme, le Conseil fédéral a fait appel aux partenaires sociaux. Nous avons trouvé une solution qui effectivement augmente la partie du salaire assuré. Et pour compenser la baisse du taux de conversion, c’est-à-dire la baisse des rentes obligatoires, nous avons introduit un supplément de rente de 200 francs par rentier pour les premières générations, financé par un mécanisme de solidarité.

Contre tout esprit de compromis, la droite est venue démolir ça au parlement. On est en fait en train d’éviter toute amélioration sérieuse et rapide de la rente des femmes dans le deuxième pilier.

JG: C’est tellement faux. Quel intérêt aurait le parlement à ne pas proposer une réforme du deuxième pilier qui améliore la rente des femmes?

PYM: Tout simplement parce que vous refusez le financement solidaire.

JG: Personne n’a intérêt à ne pas améliorer ce système. Les personnes qu’on laisse au bord du chemin, sans deuxième pilier, doivent être aidées par les cantons et les communes, avec nos impôts.

PYM: La solution qu’ont trouvée les partenaires sociaux, c’est un supplément de rente immédiat de 200 francs financé par une cotisation minime, qui touche aussi les très hauts salaires. C’est cela dont la droite ne veut pas. Se contenter d’augmenter la partie du salaire assuré signifie une forte baisse des salaires nets et une longue attente pour que cela ait éventuellement un effet sur la rente.

Gros débat sur les finances

A écouter les opposants, l’AVS n’a pas besoin de financement supplémentaire. Le vieillissement de la population, est-ce un mythe?

PYM: Le Conseil fédéral a revu ses pronostics pour 2032 et a reconnu qu’il avait été trop pessimiste. Au lieu de tomber à 25 milliards de francs, sans réforme, le fonds AVS passerait de 49 milliards à 43 milliards en 2032. Et l’an passé, l’AVS a fait 2,6 milliards de bénéfices. La vision d’une AVS en quasi-faillite est une véritable campagne de désinformation.

JG: Avec l’augmentation de l’espérance de vie, les recettes ne permettent plus de payer les dépenses. La situation financière que vous décrivez est due à des apports extraordinaires et à une récente réforme fiscale. Lorsque les recettes ne permettront plus de couvrir les dépenses, on devra prendre la décision de réduire les rentes.

C’est ce qu’on veut éviter justement. Un système qui n’a pas de réforme, c’est un système qui n’a pas d’avenir.

PYM: Brandir cette menace, c’est jouer avec la peur. Il n’y a aucune chance, et la droite le sait très bien, que le peuple accepte une baisse des rentes. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que sans hausse de l’âge de la retraite, on devra augmenter légèrement les cotisations dans cinq ans, comme on l’a fait il y a trois ans.

JG: Et pour vous, c’est le bon moment d’augmenter les cotisations?

PYM: Pas maintenant, avec 2,6 milliards de bénéfices. Mais une hausse de 0,3% des cotisations divisée entre salariés et employeurs dans quelques années, c’est quasi indolore comparé à cette réforme.

JG: Je suis opposée à une augmentation des cotisations. On est en train de payer l’absence de réforme toutes ces dernières années. On ne peut pas dire: «On vide les caisses et advienne que pourra. Les générations futures se débrouilleront.» Il est de notre responsabilité de faire une réforme qui consolide l’AVS et garantisse le niveau des rentes.

La gauche a lancé une initiative pour financer l’AVS grâce à la Banque nationale. Avec les bénéfices qu’elle ne fait plus?

PYM: Nous avons là une institution qui dispose de 1000 milliards de capital. Même si elle traverse une année difficile, ce capital va continuer à rapporter à l’avenir. Nous avons estimé ce potentiel, de manière très prudente, à 1% par année, soit 10 milliards.

Il y a 6 milliards déjà engagés pour la Confédération et les cantons. Reste 4 milliards qui seraient versés à l’AVS. Notre message, c’est de dire qu’il y a d’autres solutions beaucoup moins douloureuses que la hausse de l’âge de la retraite pour financer l’AVS.

JG: Ce n’est pas une augmentation, mais un alignement de l’âge de la retraite des hommes et des femmes. Et l’argent de la BNS, on le sort du chapeau à chaque occasion. Pour ma part, je ne suis pas prête à lier nos rentes à un système instable. Et la BNS a d’autres missions, en particulier la stabilité financière du pays.

L’inflation s’invite dans la campagne

Nous sommes dans une dynamique d’inflation, avec la forte hausse des primes maladie et l’explosion des coûts de l’énergie. Est-ce le bon moment d’augmenter la TVA?

JG: Ce qui est important, c’est de garantir le niveau des rentes pour permettre aux retraités de faire face à ces hausses qui m’inquiètent aussi. Le Conseil fédéral proposait de relever la TVA de 0,7 point. Nous l’avons ramené à ce qui semblait être supportable, à savoir 0,4 point. C’est un mal nécessaire pour consolider l’AVS.

PYM: C’est un prélèvement de 1,4 milliard de plus par an. Cela touche beaucoup plus les familles qui consomment une part plus importante de leurs revenus. Une cotisation salariale serait plus juste car elle est plus solidaire. Avec ce qui nous tombe sur le coin du crâne en ce moment, on a justement besoin de solidarité.

Il y a cinq ans, la gauche soutenait une réforme qui prévoyait aussi une hausse de la TVA. Votre argument paraît aujourd’hui opportuniste…

PYM: On ne peut pas comparer ces deux réformes. Dans la précédente, l’argent prélevé était redistribué sous la forme d’amélioration des rentes de 70 francs pour les personnes seules et de 200 francs pour les couples mariés. C’était une contrepartie durable.

JG: Si AVS21 ne passe pas, on va devoir reprendre le travail. Je ne prendrais pas le risque de revivre ce débat dans une situation financière bien plus compliquée que lorsqu’on a approuvé les compensations prévues.

PYM: Si cette réforme ne passe pas, on a six ans devant nous sans déficit, de l’avis même du Conseil fédéral. Cela nous laisse largement le temps de refaire une réforme et de chercher des solutions un peu plus imaginatives que d’aller vers des hausses de l’âge de la retraite.

JG: Je ne pense pas que les années à venir seront plus simples pour mener ce genre de réformes, au contraire. On sort à peine d’une pandémie et on va au-devant d’une crise énergétique. Je n’ai pas envie de passer cette patate chaude à nos successeurs. Je préfère nettement qu’on prenne nos responsabilités.

PYM: Avec la somme de catastrophes que nous vivons, il est obligatoire qu’à un moment donné les grands partis se serrent les coudes et fassent un pas vers la solidarité. C’est comme cela que nos aînés ont créé l’AVS.

La Liberté

Les bénéfices de la BNS doivent financer l’AVS

Selon un sondage de la Raiffeisen, la population suisse veut renforcer le système des trois piliers et appelle la BNS à financer l’AVS avec ses bénéfices.