Yan Guan Suter est arrivée à Londres début octobre, deux semaines après le début des cours. La jeune Zurichoise de 24 ans devait entamer un master en communication et journalisme à la London School of Economics, mais elle n’a pas reçu son visa à temps. «Il y avait tellement de paperasse à remplir et les gens en charge d’examiner ma demande étaient eux-mêmes un peu perdus car le processus est neuf, raconte-t-elle. J’ai trouvé tout cela chaotique et stressant.»

A son arrivée, faute d’avoir pu trouver un logement, elle a passé un mois à dormir sur le canapé d’une amie. En sus des 1450 francs déboursés pour le visa, elle doit s’acquitter de frais d’écolage de 24 456 livres (30 350 francs) par an.

En Ecosse, les étudiants européens pouvaient y étudier gratuitement avant le Brexit.

Vivienne Stern, directrice de Universities UK International

Rien de tout cela ne serait arrivé si la jeune femme avait déménagé dans la capitale britannique avant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). «Les étudiants européens bénéficiaient alors du même tarif que leurs pairs britanniques», note Janet Ilieva, qui a fondé l’agence Education Insight. «Ils n’étaient en outre pas obligés de débourser un centime en amont, car ils pouvaient toucher un emprunt du gouvernement pour financer leurs études.»

Au niveau Bachelor, cela a fait passer les frais de 9250 livres par an au maximum à 22 000 livres pour une licence en sciences humaines et 58 000 livres pour une licence en médecine. «En Ecosse, le changement est plus marqué encore: les étudiants européens pouvaient y étudier gratuitement avant le Brexit», fait remarquer Vivienne Stern, la directrice de l’organisation Universities UK International.

Les étudiants doivent en outre désormais obtenir un visa pour avoir le droit de séjourner au Royaume-Uni, ne peuvent pas y amener leur conjoint et n’ont aucune garantie de pouvoir rester dans le pays à l’issue de leurs études pour y faire carrière.

Les fonds de l'alternative sont trop bas

Ces nouvelles conditions ont provoqué un tremblement de terre au sein des universités britanniques. «Le nombre d’étudiants européens admis à la rentrée 2021 a plongé de 56% par rapport à l’année précédente», indique Nick Hillman, le directeur du Higher Education Policy Institute. «Les arrivées en provenance des pays moins fortunés, comme la Pologne, la Roumanie ou la Bulgarie, ont même chuté de l’ordre de 80%.» Il n’y a plus que 9820 étudiants européens dans le pays, contre 22 430 durant l’année académique 2020/2021.

«Les institutions moins prestigieuses ou moins centrées sur la recherche ont été particulièrement touchées», relève Gavan Conlon, un économiste qui a réalisé une étude sur l’impact du Brexit pour le Département de l’éducation. Les universités d’Aberdeen, Kent et Coventry, qui avaient tout misé sur les étudiants européens, font partie des grands perdants.

Depuis le Brexit, les universités britanniques ne sont plus non plus affiliées au programme de mobilité Erasmus. Le gouvernement a certes mis sur pied une initiative de remplacement appelée Turing, dotée de 100 millions de livres, mais celle-ci sera moins exhaustive et les fonds à disposition de chaque étudiant seront plus bas.

Les professeurs manquent aussi

Le corps académique est lui aussi touché. «Il y a une vraie fuite des cerveaux», note Vincent Croset, un professeur assistant romand à l’Université de Durham spécialisé dans l’étude de la mémoire. «Plusieurs de mes collègues ont pris des postes dans des universités européennes car ils craignaient que le Brexit n’affaiblisse la place de la recherche britannique.»

Son institution peine aussi à recruter des chercheurs européens. Un récent appel à candidatures pour un programme de doctorat commun en biosciences entre Newcastle, Liverpool et Durham n’a reçu aucune postulation en provenance de l’Union européenne, contrairement aux années précédentes.

«L’incertitude entourant les modalités de sortie de l’Union européenne, qui dure depuis plusieurs années déjà, a été très dommageable», estime le Suisse. «Les académiciens qui envisagent de s’installer au Royaume-Uni, notamment avec un conjoint ou une famille, y réfléchissent désormais à deux fois.» Pour obtenir un visa, il leur faut une offre d’emploi ou une promesse de fonds de recherche.

Près de 63 millions de perte

Suite à cet exode, les universités britanniques pourraient perdre jusqu’à 62,5 millions de livres par an en frais d’écolage, selon l’analyse effectuée par Gavan Conlon pour le Département de l’éducation. «L’économie locale dans les villes hébergeant des universités sera aussi touchée: les étudiants étrangers dépensent des sommes importantes en logement, en nourriture et en divertissement», précise-t-il. En 2015, ceux en provenance de l’UE ont généré 2,2 milliards de livres pour l’économie britannique et créé 19 000 emplois, selon Universities UK International.

Les rares étudiants européens qui s’aventureront dans les universités britanniques seront issus de milieux aisés.

Nick Hillman, directeur du Higher Education Policy Institute

C’est l’ADN même du milieu académique britannique qui est aujourd’hui en danger. «Les universités du Royaume-Uni sont parmi les plus diverses au monde», dit Vivienne Stern. «Il n’est pas rare qu’une institution compte plus de 150 nationalités.» Suite au Brexit, elles vont devenir moins cosmopolites. Elles seront aussi plus uniformes sur le plan social. «Les rares étudiants européens qui s’y aventureront seront issus de milieux aisés en Europe de l’ouest», pense Nick Hillman.

Les universités britanniques perdront en outre une partie de leur capacité à innover. «Une part importante des étudiants étrangers se formant dans nos universités finit par rester dans le pays et y fonder une entreprise ou y mener une carrière académique», glisse-t-il.

La perte de ces talents aura aussi un impact sur le soft power du Royaume-Uni. «De nombreux dirigeants mondiaux ont fréquenté une université britannique, poursuit-il. Cela les marque pour la vie.» Il cite le cas d’un cadre de la Banque centrale chinoise qui dit privilégier systématiquement les entreprises britanniques lorsqu’il s’agit de nouer des contrats, en hommage au souvenir ému qu’il conserve de ses études sur le sol britannique.

JULIE ZAUGG

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